Plus pauvres, les Français hyper-consomment autrement

Plus pauvres, les Français hyper-consomment autrement

source : http://alternatives.blog.lemonde.fr/2013/11/07/les-nouvelles-modalites-de-lhyperconsommation/

Cela fait dix ans que les Français sentent leur niveau de vie reculer. A force, ils développent un rapport à la consommation plus réfléchi : la débrouille entre dans les mœurs et la consommation alternative s’est démocratisée au point de ne plus être une alternative, nous enseigne la lecture du second rapport de l’Observatoire des consommations émergentes publié ce jeudi 7 novembre 2013 par l’Obsoco.

Une bipolarité des comportements d’achat

Le recul très net du pouvoir d’achat des Français (-0,9 % selon l’INSEE) explique l’évolution de l’indécision dans les comportements d’achat des Français. Si 52 % d’entre eux la perçoivent avant tout comme un plaisir, 48 % la perçoivent avant tout comme une nécessité. Neuf Français sur dix estiment pourtant qu’on y accorde trop d’importance, mais il y en a presque autant qui estiment qu’elle est essentielle à la croissance de l’économie, de l’emploi, et qu’elle est source de bonheur !

Ce rapport bipolaire à la consommation se retrouve dans le rapport aux marques. On se méfie d’elles en les accusant de vendre desproduits prêts à jetés, mais on préfère s’y fier parce qu’elles seraient gage de qualité ! “Au total, l’image qui se dégage des réponses des Français enquêtés est davantage celle d’une posture de réserve à l’égard de certaines facettes de la consommation que celle d’un rejet tranché d’une hyperconsommation qui continue manifestement d’exercer un attrait pour une large fraction de la population” explique la synthèse du rapport de l’Obsoco.

D’ailleurs, l’étude menée cette année note un recul dans la proportion des personnes souhaitant consommer mieux (46 % en 2013 contre 52 % l’an dernier), et de celles parmi elles souhaitant consommer moins (26 % en 2013 contre 30 % l’an dernier).

Ce qui émerge le plus n’est pas forcement le plus médiatisé

Autre observation : ce sont pas les pratiques les plus médiatisées qui sont les plus répandues. Ainsi, les AMAP et autres formes de réseaux d’achat groupé de produits alimentaires ne concernent que 5 % des Français interrogés et, s’ils sont 12 % à déclarer avoir mis une pièce de leur domicile à la disposition d’un voyageur (“couchsurfing”) au cours des 12 derniers mois, ils ne sont que 5 % à l’avoir fait par l’intermédiaire d’un site Internet. A l’inverse, le don, l’achat d’occasion, l’emprunt… sont des pratiques qui concernent une large majorité des Français“.

Ce qui apparaissait comme une alternative hier s’ancre aujourd’hui dans le corps social. L’exemple le plus parlant est celui de l’automobile, désacralisée, ramenée à sa fonctionnalité, en victime des arbitrages de consommation. En 2013, 17 % des Français ont loué une voiture, le plus souvent auprès d’un loueur professionnel, mais 22 % sont passés par l’autopartage (type Autolib’) et 21 % auprès d’un particulier. Un Français sur quatre a utilisé le covoiturage, dont 10% régulièrement, un chiffre plus important que celui de l’ADEME en avril 2012. Aussi ces nouveaux comportements renforcent-ils l’abandon de la voiture : “Louer ou pratiquer le covoiturage conduit parfois à s’interroger sur la nécessité de posséder son propre véhicule. Ainsi 6 % des adeptes de ces nouvelles formes de mobilité automobile affirment avoir revendu leur voiture et 10 % envisagent de la vendre ou de ne pas la remplacer…

Interrogée sur ce rapport, la présidente de l’Obsoco, Nathalie Damery, souligne à quel point les frontières sont poreuses aujourd’hui entre l’univers marchand traditionnel et ces nouvelles formes de consommation : “Il ne s’agit plus d’alternatives à la consommation. Louer devient la norme sur certains produits (bricolage ou puériculture), l’achat malin s’allie à la nécessité”

Un recul des motivations écologiques

Fait quelque peu préoccupant (c’est subjectif !), la sensibilité à l’écologie s’émousse. Si le gaspillage reste une préoccupation majeure, les motivations ne sont plus militantes. Trois raisons poussent les Français à hyper-consommer autrement :

  • Cela permet de satisfaire un besoin de manière moins onéreuse, voir de gagner des sous,
  • Cela redonne du “pouvoir d’agir” (“emporwerment” diraient les anglo-saxons): on se reprend en main, on aime se sentir en réseaux les uns avec les autres et faire sens (“recréer du lien social, soutenir l’économie locale, contribuer à la dynamisation de son quartier, faire un geste pour la planète…” détaille l’Obsoco)
  • Cela est facilité par la multitude d’initiatives qui se sont développées en quelques années : “les plateformes sur Internet facilitant la mise en réseau des consommateurs et l’établissement de liens d’une autre nature avec les producteurs, tout en offrant des services permettant de réduire les risques associés à ces formes de consommation et, parfois, de renouveler l’expérience d’achat et le plaisir qui lui est attaché

La synthèse du rapport de l’Obsoco note “un renforcement des motivations d’ordre économique. La dimension “responsable” – notamment dans son volet environnemental – est quant à elle en recul, excepté pour ce qui touche à la sensibilité à l’origine géographique de la production, qui est en forte progression par rapport à l’année dernière“. Mais bien plus encore : “alors que les pionniers des pratiques de consommation émergentes ont souvent été animés d’un esprit militant, de contestation de l’hyper-consommation et de promotion de modèles alternatifs de société, le traitement des résultats de l’Observatoire échoue à établir une relation entre le degré d’engagement des individus dans ces pratiques et l’adoption d’une posture critique à l’égard de la consommation“.

Pour Nathalie Damery, “les Français veulent en avoir plus pour moins, ce n’est plus une alternative, ce n’est pas militant, c’est une nouvelle façon de consommer. Pour elle, l’engouement des médias pour la consommation collaborative vient de l’image offerte par la jeunesse et l’esprit enchanteurs des start-up qui se créent dans le secteur : “Il s’agit typiquement du pouvoir des commencements cher à Myriam Revault d’Allonnes. Dans un paysage commercial plutôt triste, cela fait rêver. Si ces pratiques vont se développer, il existe encore un fossé entre le bruit médiatique autour de ces initiatives et la réalité : la consommation collaborative reste jeune et urbaine, alors que les comportements émergents que nous observons touchent tous les français, mixent les générations et les catégories socio-professionnelles“.

En somme, les Français sont désormais motivés pour des raisons qu’ils ont commencé par subir. Avant on avait le choix pour éviter de rentrer dans le mur, maintenant nous sommes dans le mur et nous n’avons plus le choix.

Pour l’Obsoco, ces évolutions sont une aubaine pour les marques, qui peuvent désormais renouveler et refonder différemment la relation avec leurs clients. Pour la planète, l’histoire attendra encore un peu.

Anne-Sophie Novel // @SoAnn sur twitter