Revue de presse : Le Monde : slow cosmétique : La beauté se met au « do it yourself »

La beauté se met au « do it yourself »

LE MONDE | 28.11.2014 à 14h35 • Mis à jour le 28.11.2014 à 15h55 | Par Catherine Rollot

Envie de naturel, défiance vis-à-vis des marques, ou simple loisir créatif, de plus en plus de personnes fabriquent elles-mêmes leurs cosmétiques

Le précieux élixir circule de main en main. « Hum, on se croirait sous les arbres à Menton », s’extasie Yannick, la cinquantaine dynamique en humant l’hydrolat de fleur d’oranger. Eau de pamplemousse, beurre de coco, huile de pépins de tomate, les noms évoquent des ingrédients culinaires. Pourtant les sept femmes, inscrites cet après-midi de novembre à l’atelier cosmétique « soins des cheveux » de la boutique Aroma-Zone, sont venues s’initier à une tout autre cuisine, celle de la beauté.

Assises de part et d’autre d’un comptoir chargé de flacons, elles font partie de ces consommatrices, de plus en plus nombreuses, qui ont envie de concocter elles-mêmes leurs produits cosmétiques naturels. « La rose de Damas, je ne connais que ça. Mon mari n’aime pas trop, il me dit que ça sent. » L’ambiance d’abord timide se réchauffe. Pendant trois heures, et pour 49 euros, la formatrice au prénom prédestiné, Marjolaine, 23 ans, va leur apprendre à fabriquer un shampooing ou un après-shampooing à partir de composants issus de plantes ou de fruits.

Pour éviter le « beauty faux pas », Carole Gallais, sympathique quinquagénaire, se concentre sur sa mixture. C’est la première fois qu’elle confectionne une recette. Adepte des huiles essentielles, cette attachée de direction « en pleine phase découverte » fait partie des nouvelles converties. « Je suis devenue un peu accro », avoue celle qui d’ici décembre a déjà réservé six ateliers différents.

Simplicité rassurante

Loin des listes d’ingrédients incompréhensibles des gammes vendues dans le commerce, le fait maison rassure par sa simplicité. Au plaisir de savoir pour Carole « ce que l’on met exactement sur sa peau », s’ajoute le côté ludique, créatif de l’exercice. « On fabrique un produit sur mesure, adapté à sa peau, à ses envies et en plus ça coûte entre 5 à 10 fois moins cher », renchérit Milena Liebling, une éducatrice spécialisée de 25 ans, grandes boucles d’oreilles et vernis bio sur les ongles. Le prix moyen d’un pot de crème de 100 ml tourne autour de 4 ou 5 euros et se conserve jusqu’à trois mois.

« Les gens ont envie de faire fructifier leur petit talent, de sortir de la standardisation et de la dépendance à l’égard des produits industriels. »  Ronan Chastellier, sociologue

Débarrassée de son image de « recettes de grand-mère », la beauté en kit profite de la vogue du « do it yourself » (fais-le toi-même). « Le retour à la lenteur dans l’élaboration d’un produit est devenu le garant du bon et du beau, remarque Ronan Chastellier, sociologue spécialiste des tendances de consommation. Regardez l’engouement pour la cuisine maison. Les ressorts sont les mêmes. Les gens ont envie de faire fructifier leur petit talent, de sortir de la standardisation et de la dépendance à l’égard des produits industriels ».

A quelques volées de marches des ateliers cosmétiques, l’affluence à la boutique Aroma-Zone – ouvert au printemps cet espace de 500 m2 en plein cœur de Paris reçoit plus de 2 000 visiteurs par jour – met au grand jour l’engouement pour des matières premières naturelles jusque-là vendues essentiellement sur Internet. Et qui ont permis à la marque, en quelques années, sans publicité mais avec un catalogue de 1 500 références, de devenir le leader mondial du secteur.

Lire aussi en seconde partie de cette page : « La peau a juste besoin d’être nettoyée, hydratée et protégée du soleil »

« Nous avons dès 2006 senti que les consommateurs avaient envie de se réapproprier le savoir-faire cosmétique », explique Pierre Vausselin, son président fondateur. Aidé de ses trois filles, l’ingénieur chimiste reconverti dans la construction de maisons en bois, mise sur une idée simple : proposer à ses clients tout le nécessaire pour se transformer en apprentis cosméticiens : ingrédients avec leurs fiches techniques, ustensiles, contenants, et plus de 1 000 recettes disponibles en ligne. Le succès est au rendez-vous. La PME familiale dont le siège est implanté à Clermont-Ferrand et le site de production dans le Vaucluse devrait réaliser, en 2014, 27 millions d’euros de chiffres d’affaires, en augmentation de 25 % par rapport à l’année précédente.

« Un peu tout le monde »

Au-delà des ingrédients, ceux qui veulent se lancer ont aujourd’hui l’embarras du choix. Blogs, vidéos mode d’emploi ou formations foisonnent et attirent une clientèle qui dépasse celle des initiés de la première heure. Marie Bousquet, 34 ans, a ouvert il y a quatre ans, à Paris « Les Ateliers de la souris verte », où adultes et enfants peuvent apprendre les bons gestes et les dosages nécessaires pour fabriquer savons, soins capillaires et maquillage. Elle témoigne du changement. « Au départ, notre cœur de cible était la Parisienne, jeune mère de famille active, sensible aux questions environnementales, bref une « bobo bio » comme moi. Depuis un an, on a un peu tout le monde. » Face à la demande, depuis septembre, elle a ouvert des formations en ligne pour les provinciaux ou les personnes qui vivent à l’étranger.

Ilda Rama, qui dès 2002 créait ses propres produits et animait un blog sur le sujet, regarde avec la distance des pionniers cet emballement : « A l’époque, il fallait trouver les ingrédients, se renseigner pour élaborer les mélanges, ça se méritait. Aujourd’hui même si les composants restent naturels, il y a un côté industriel, marchand, c’est presque trop facile », explique la jeune mère de famille qui continue « de façon moins frénétique » à faire ses propres potions. Pour Julien Kaibeck, blogueur et fondateur du mouvement « slow cosmétique », qui dénonce les excès de l’industrie traditionnelle de la beauté, la « cosméto maison » est bel et bien devenu un marché. « Par la sortie de nouveaux produits et la mise en ligne de nouvelles recettes, Aroma-Zone, qui sur ce créneau est un peu incontournable, entretient un zapping incessant. On est dans le consommer mieux, pas dans le consommer moins. »

Après trois heures d’atelier, la satisfaction d’avoir réussi sa recette se lit sur tous les visages des participantes. Un petit cadeau et un bon de réduction sont offerts par la maison. Au rez-de-chaussée, à la boutique d’Aroma-Zone, l’huile essentielle pour freiner les achats ne se trouve pas en rayon.


 

« La peau a juste besoin d’être nettoyée, hydratée et protégée du soleil »

LE MONDE | 28.11.2014 à 14h35 • Mis à jour le 28.11.2014 à 15h55 | Par Catherine Rollot

Le Belge Julien Kaibeck enseigne l’aromathérapie. Chroniqueur beauté sur France 5, il est le fondateur du mouvement « slow cosmétique ». Il revient sur la tendance à composer soi-même ses produits de beauté.

Qu’est-ce que la « slow cosmétique » ?

Le mouvement « slow cosmétique » a été créé en 2012 pour rassembler tous ceux qui veulent consommer moins mais mieux la beauté. C’est aussi une association qui a déposé la marque « slow cosmétique » afin d’éviter toute récupération commerciale. Nous achetons trop de produits de beauté, l’impact sur le portefeuille comme sur la planète est dommageable. Les grandes marques de la cosmétique conventionnelle essaient de nous faire croire que nous avons besoin de beaucoup de soins pour entretenir notre peau. C’est faux, elle a juste besoin d’être nettoyée, hydratée et protégée du soleil. L’industrie de la beauté nous apporte du rêve et du confort mais nous fait également voir notre peau comme une étrangère à maîtriser. « Il faut corriger la ride », obtenir un teint « zéro défaut ». La slow cosmétique nous invite à nous réconcilier avec notre peau et à ne pas attendre des produits ce qu’ils ne peuvent pas nous apporter.

Le « fait maison » s’inscrit-il dans cette démarche ?

Le bio comme le « fait maison » sont deux alternatives à la cosmétique traditionnelle. Les produits biologiques permettent, même s’ils ne sont pas écologiques à 100 %, de se garantir contre la présence de matières pétrochimiques, plastiques, perturbateurs endocriniens ou agent synthétique irritants et discutables pour l’environnement. Le bio est toujours plus écoresponsable que le conventionnel. En fabriquant ses produits soi-même, non seulement on peut faire le choix du tout naturel en utilisant des matières premières labellisées mais on sait aussi exactement ce que l’on met sur sa peau.

Quant à l’efficacité…

Les industriels font des produits de qualité mais les soins naturels donnent aussi de bons résultats. La différence se paie en termes de confort d’application et de temps. Il est plus rapide d’acheter un pot de crème que de le faire et il va se conserver plus longtemps que la formule maison. Quant à l’efficacité, elle n’est pas prouvée et surtout tout dépend de ce que l’on entend par là. En matière de résultats immédiats, les produits industriels sont plus performants. Avec une crème de grande marque, vous pouvez obtenir un lissage de la peau lors de l’application, car le produit va jouer sur la 3D, comme le ferait un maquillage. En revanche, sur le long terme, un soin maison ne sera ni plus ni moins efficace, ni plus ni moins allergisant que son concurrent industriel.