Revue de presse : restaurant d’un jour… Une idée à cuisiner ?

Revue de presse : restaurant d’un jour… Une idée à cuisiner ?

Corentin Cohen reçoit pour le Restaurant Day à Paris, en mai 2013.

Chefs d’un jour

LE MONDE | 13.11.2014 à 18h50 | Par Boris Coridian

Le menu se précise : soupe de truite, goulasch végétarien, tartelettes au citron ou à la clémentine. Voilà ce que pourront déguster les convives de Satu Pöyry, dans son garage transformé pour l’occasion en taverne pirate, situé dans la commune d’Alfortville (Val-de-Marne). Samedi 15 novembre, la jeune femme de 28 ans et sa sœur Sari-Anne, 24 ans, se déguiseront en patronnes de restaurant pour la cinquième fois à l’occasion de Restaurant Day.

La manifestation, organisée dans le monde entier, invite les citoyens à ouvrir leur restaurant éphémère, le temps d’un petit déjeuner, d’un déjeuner ou d’un dîner, chez eux, dans leur jardin, dans la rue ou dans un parc public. Aucune contrainte, les tarifs sont fixés par les chefs d’un jour et tous les concepts sont les bienvenus. La cuisine est en liberté. La seule règle « imposée » est le thème : cette année, les soupes. Cela laisse de la marge. « Il y aura aussi des korvapuusti – des roulés à la cannelle, une spécialité de Finlande – que l’on nous réclame à chaque fois », ajoute Satu Pöyry, dont le prénom signifie en finnois « conte de fées ». Le fait que cette fervente participante soit à moitié finlandaise n’est pas un hasard.

Célébration de la créativité

Ce mouvement est né à Helsinki en 2011, sorti de la tête d’une bande de jeunes gens gourmands et rêveurs, tous bénévoles. Timo Santala, l’un des fondateurs, reçoit dans les anciens abattoirs de la capitale finlandaise, devenus un lieu voué à la cuisine et aux métiers de bouche. « Le concept de Day est simple : pour une journée, tout le monde peut ouvrir son restaurant de rêve. C’est une célébration de la créativité et de ce que peut être un restaurant : un lieu de partage et de convivialité. Les exemples sont multiples : vendre des sushis en appartement, proposer des burgers gastronomiques dans la rue, faire découvrir les spécialités du Sénégal », explique le trentenaire.

Le restaurant éphémère Keittopäivä!, à Helsinki en février 2013.

« Au départ, nous pensions avoir dix participants. Aujourd’hui, Restaurant Day se présente comme le plus grand carnaval gastronomique du monde. On estime que 12 000 restaurants ont servi plus de 1,2 million de personnes depuis 2011. Au début, la mairie imposait une demande d’autorisation, mais désormais, Helsinki est libre pendant le Restaurant Day », explique Timo Santala, devenu, avec le succès, le nouveau directeur de la stratégie sur les questions liées à la gastronomie pour la ville d’Helsinki.

Invitation à libérer la cuisine

En dehors de la Finlande, les foyers les plus actifs de cette manifestation gourmande se trouvent aux Pays-Bas, en Allemagne, en Hongrie, en République tchèque… Des curieux ont importé le concept au Québec ou au Japon. La France a tout de suite été séduite par cette invitation à libérer la cuisine, mais le nombre de participants reste malgré tout limité. En mai – la manifestation se déroule quatre fois par an, en février, mai, août et novembre –, quarante restaurants éphémères ont été créés sur le territoire. Claire-Sophie Dagnan en faisait partie.

A 25 ans, elle a terminé des études de sciences politiques. Et travaille dans une maison d’édition. La cuisine l’a toujours intéressée, ainsi que les événements de rue. Le restaurant éphémère qu’elle a ouvert avec une amie s’appelait Sonrisa Alegria ![« Sourire et joie » en espagnol]. « Nous servions des plats provenant des pays qu’on a visités. C’était prévu pour être un apéro entre 18 heures et 20 heures, pour 25 personnes, surtout des amis. Notre menu : trois tapas et une boisson pour 9 euros, mais c’était généreux ! Nous nous sommes retrouvés à cuisiner jusqu’à minuit, servant des plats à de nombreuses personnes inconnues. Il y a eu beaucoup de mixité. C’est un événement, mais c’est aussi un mouvement. Chacun le rejoint avec ses propres idées. » La question de l’espace public l’intéresse. L’idée, pour elle, était de concrétiser cette réflexion à travers un moyen très basique qu’est la cuisine.

Cette envie bon enfant de jouer à la dînette et à la marchande pose plusieurs questions. Corentin Cohen, l’un des ambassadeurs de Restaurant Day en France, souhaite conserver une organisation un peu « pirate » : « Les mairies tolèrent le concept sans l’autoriser. Il se heurte à une série d’interdictions. Les participants considèrent qu’ils ont une forme d’autorisation tacite. » Preuve de cette ambiguïté administrative, le site de la Ville de Paris « Que faire à Paris » répertorie Restaurant Day.

Questions d’hygiène et normes sanitaires

Pourtant, Olivia Polski, adjointe à la maire PS de Paris, chargée du commerce, de l’artisanat, des professions libérales et indépendantes, veut tempérer les ambitions des participants : « Si cette manifestation permet un moment festif et de partage, la Mairie pourrait le soutenir. Si, par contre, elle fait la promotion des restaurants illégaux, en dehors de tout cadre légal et des normes sanitaires, on ne peut pas la soutenir. » Comment est gérée la question de l’agent ? « On milite pour une opération blanche pour les participants », précise Corentin Cohen. « On souhaite surtout empêcher la récupération de l’événement par les grandes marques qui pourraient en profiter pour faire des affaires. On tient à ce que cela reste populaire. »

Et sur les questions d’hygiène et de normes sanitaires, le bon sens et la confiance sont de mise : « Les participants doivent respecter les gestes de base. Mais on ne réclame pas non plus un certificat d’hygiène à des copains qui vous invitent à l’apéro. C’est comme une fête de famille avec des cousins que l’on ne connaît pas », s’amuse Satu Pöyry.

Le succès international de cette initiative va-t-il donner des idées pour faire descendre la cuisine dans la rue, au pays de Brillat-Savarin ? Créée la même année que Restaurant Day, la Fête de la gastronomie peut se targuer d’être un succès, mais sans commune mesure avec l’engouement populaire que la Fête de la musique rencontre, par exemple.

Sophie Mise Le Bouleise, sa commissaire générale, précise : « Cette fête a pour objet de faire la promotion de la gastronomie et de ses acteurs. Carole Delga [secrétaire d’Etat chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire] est très sensible à la visibilité de la France et à son développement économique à travers la gastronomie. Elle souhaite aussi développer l’aspect grand public pour les prochaines éditions. Mais cela prend du temps, faire descendre le public dans la rue est complexe. Cette année, nous avons senti un mouvement qui va dans ce sens. La Fête de la musique a plus de trente ans. Il faut accepter le temps de l’appropriation de la part du grand public. » Pour accélérer le mouvement, il est toujours possible de préparer de bonnes soupes et de les proposer samedi.

En dates
21 mai 2011 Lors de la première édition, 45 restaurants ouvrent dans 13 villes de Finlande.
Mai 2014 2 724 lieux où manger dans 35 pays sont répertoriés sur le site Internet qui sert de lieu d’échange et d’information. La France affiche quarante restaurants éphémères.
Août 2014 A Helsinki, 700 pop-up voient le jour. Un record pour une ville de 600 000 habitants.
Novembre 2014 Depuis sa création, on estime que 12 000 restaurants ont servi plus de 1,2 million de personnes.

restaurantday.org